Par Mr Baco – Arthur Oliveira
Il n’y a pas que du champagne en Champagne! Découvrez les ratafias champenois de la maison Dumangin J. Fils.
On l’oublie souvent mais la grande famille des spiritueux descend en dessous des 20°. En effet, une boisson est considérée comme spiritueuse quand elle contient de l’alcool distillé. Après la Bourgogne, cette troisième étape du tour de France consacré aux spiritueux à base de raisin a amené Monsieur Baco à aller tremper ses lèvres en Champagne dans le ratafia de la maison Dumangin J. Fils.
Origine du mot
Boisson apéritive à base de vin de liqueur ou de fruits macérés, le ratafia est produit dans de nombreuses régions et pays.
On prête différentes origines au mot ‘ratafia’ vieux de plusieurs siècles. Gilles Dumangin raconte que lorsque les Espagnols, Portugais, Français et autres partaient découvrir le monde, ils avaient besoin de vitamine C pour éviter le scorbut, la seule solution était alors de faire de la mistelle (fruits séchés et épices macérés dans l’alcool dont le procédé de fabrication aurait été exporté à Chypre par les croisés). Bien souvent l’exploration de nouveaux territoires se doublait de batailles entre les colons de différents pays. La légende veut que lorsqu’ils faisaient la paix, le seul alcool à leur disposition pour célébrer les accords conclus était cette mistelle qui a progressivement pris le nom de ‘ratafia’ en référence au créole ‘ratificare’ ou à l’expression latine ‘pax rata fiat’ (ratifier, faire la paix, marché conclu).
L’indication géographique en quelques points
Le ratafia champenois est protégé par une Indication Géogrpahique. Voici les principales spécificités du cahier des charges :
- Noms officiels : « Ratafia champenois » ou « Ratafia de Champagne ».
- Définition : Boisson spiritueuse obtenue par aromatisation d’un alcool d’origine viticole (eau-de-vie de vin ou de marc) avec du moût de raisins.
- Cépages : les trois principaux cépages utilisés sont le chardonnay, le meunier et le pinot noir. Le cahier des charges n’interdit toutefois pas l’utilisation des autres cépages permis par l’AOC Champagne (arbane, petit meslier, pinot blanc, pinot gris).
- TAV : Le titre alcoométrique volumique doit être compris entre 16° et 22°.
- Sucre : le taux minimal de sucre doit être supérieur à 110gr/litre.
- Souffre : le taux de dioxyde de souffre doit être inférieur à 80 mgr/litre.
- Vieillissement :
- Le ratafia champenois doit vieillir minimum 12 mois avant d’être embouteillé.
- Il peut prendre la mention « vieux » au bout de 3 ans de vieillissement.
- Il peut prendre la mention « Très vieux » au bout de 8 ans de vieillissement.
- Caramel : L’emploi de caramel est autorisé pour ajuster la couleur.
Le ratafia champenois entame sa renaissance à partir de 2008. Avant cette date, environ une trentaine de vignerons produisaient du ratafia champenois, aujourd’hui ils sont entre 300 et 450.
Présentation de la maison Dumangin J. Fils
Historique
Bien qu’étant issu d’une famille liée au monde du vin depuis de nombreuses générations (13ème génération de vignerons, 5ème génération de vinificateurs champenois), on ne peut pas dire que Gilles Dumangin soit tombé dans la cuve de potion magique étant petit. Après une carrière d’entrepreneur dans l’édition de logiciels à Londres, il reprend l’activité familiale de vinification en 2000 après avoir vendu ses sociétés. N’ayant aucune formation de viticulteur, il apprend le métier sur le tas.
Pourquoi le ratafia ?
Le ratafia de Champagne n’est pas une nouveauté chez les Dumangin. Comme beaucoup de vignerons, les grands-parents de Gilles étaient également bouilleurs de cru et mélangeaient le dernier jus de presse qui n’était pas jugé assez qualitatif pour être champagnisé à de l’alcool pour faire l’apéritif du viticulteur. Son père en fabriquait également pour sa consommation personnelle.
Concomitamment à ses premières vinifications, Gilles goûte un ratafia champenois d’un confrère qui lui plaît beaucoup. Il décide lui aussi d’en produire et cette fois, d’en commercialiser. Le ratafia de Champagne prend ainsi une nouvelle importance dans la gamme de la maison Dumangin J. Fils.
Du ratafia au whisky
Mais Gilles Dumangin ne s’arrête pas seulement à la production de champagne et de ratafia. En 2017 il se lance également dans l’affinage de whiskies en fûts de ratafia. Souhaitant renouveler une partie de son stock de barriques (les tonneaux en bas de la pile contenant du ratafia depuis 15-16 ans commençaient à perdre en tannins à force de les vider et remplir) il convainc la distillerie galloise Penderyn, qui n’avait encore jamais vendu à des embouteilleurs indépendants, de lui vendre du whisky. Il envoie alors deux tonneaux au Pays de Galles. Quand il décide de faire rentrer ses tonneaux en Champagne, il trouve le résultat excellent et lance une série d’embouteillage de whiskies distillés dans différents pays (Écosse, États-Unis, Australie, France…).
Des petites quantités de marcs distillés chez son confrère Alexandre Moutard sont également en cours de vieillissement et seront embouteillés dès leur maturité atteinte.
Vignoble
Situé à Chigny-les-Roses sur le versant nord de la montagne de Reims, le domaine Dumangin J. Fils compte environ 7 hectares de chardonnay, meunier et pinot noir répartis sur 29 parcelles. Les sols de la montagne de Reims donnent des vins avec une belle acidité et des meuniers fruités.
Les vignes sont cultivées dans une démarche HVE. Par principe, Gilles ne souhaite pas s’engager vers la certification « Agriculture Biologique ». Il privilégie une conduite la plus bio possible jusqu’au moment où ce n’est plus possible. En revanche, aucun produit chimique n’est ajouté (à part un peu de souffre) à partir du moment où les raisins sont récoltés.
Un travail du sol intégral est pratiqué ce qui permet une utilisation nulle d’herbicides et d’insecticides.
Vinification
Les grappes tout juste cueillies sont transportées dans des petites caisses d’environ 18 kilos. Le chai d’arrivage est réfrigéré de façon à raffermir le raisin après vendange quand il fait très chaud. Cela permet de mieux conserver l’acidité.
Deux pressoirs Coquard à maie tournante fabriqués dans les années 85-86 sont utilisés. Ils permettent de vinifier quasiment toute la production en parcellaire. Gilles n’assemble rien à l’avance. Des cuves en inox de 50 à 10 000 litres permettent de garder les vins purs jusqu’à l’assemblage. Les malolactiques ont été abandonnées depuis 2012 de façon à garantir un style frais, tendu, aromatique et mordant.
50% des champagnes produits par Dumangin J. Fils sont des champagnes rosés utilisant du meunier vinifié en rouge.
Vieillissement
Si les jeunes ratafias (cuvées Finesse, Force, Fruit, Délicatesse) connaissent un élevage en cuve inox pour préserver leur fraîcheur et leur fruit, les cuvées plus vieilles (Craft et Single Barrel) sont vieillies dans des fûts ayant contenu des Côtes-du-Rhône septentrionaux rouges. Pourquoi les vins du Rhône ? Un jour, Gilles déguste un des premier whiskies dont l’affinage était mentionné : une bouteille de Glenmorangie Tain l’Hermitage Finish 1978. Il se dit que le jour où il fera des spiritueux en Champagne, il fera des spiritueux vieillis en barriques de Crozes-Hermitage ou d’Hermitage. Depuis 25 ans, il n’achète que des barriques de cette région. Le but est d’avoir des syrahs haut-de-gamme dans les barriques avant le ratafia, puis des whiskies dans d’anciens fûts de ratafia.
La plupart des producteurs utilisent des demi-muids pour le vieillissement du ratafia. Ils retirent 200-300 litres pour embouteiller et remplacent par du nouveau ratafia. Gilles, qui n’utilise pas le système de Solera possède des tonneaux remontant jusqu’en 2002 même s’il ne peut pas les millésimer. En effet, un produit millésimé ne peut pas contenir plus de 8% d’un autre produit. Comme Gilles préfère utiliser des alcools plus forts pour effectuer des gardes plus longues (la part des anges faisant baisser le taux d’alcool), les proportions empêchent de millésimer.
Il est à noter que Gilles Dumangin possède les stocks de vieux ratafia de Champagne les plus étendus (plus de 300 barriques). Concernant le vieillissement du whisky en fût de ratafia, Gilles témoigne de quelques pièges à déjouer. En effet, le ratafia étant plus lourd que le vin, il pénètre la totalité du bois. Quand on retire le ratafia et que l’on met du whisky (plus léger que le ratafia, mais plus lourd que le vin ou l’eau), il va directement au fond du bois et aspire tout ce qui était dans le bois. Tous les arômes de bois exotique ressortent. C’est ainsi que Gilles a été surpris de trouver un Penderyn rouge écarlate au bout d’un an qu’il a dû diluer. Le ratafia exacerbe le bois d’origine. Il faut donc faire attention au bois de départ utilisé par les whiskies qui sont achetés.
Commercialisation et gamme
Les ratafias
La gamme de ratafia de Champagne de Dumangin J. Fils comprend 6 expressions (fiches techniques) :
- Craft (long affinage sous bois).
- Finesse (100% chardonnay).
- Fruit (100% meunier).
- Force (100% pinot noir).
- Délicatesse (élaboré avec une base de rosée de saignée issu des 3 cépages).
- 18 ans d’âge (Single Barrel Edition 2) qui a gagné le trophée de « World’s Finest Ratafia Champenois » décerné par le site Glass of Bubbly pour la deuxième fois consécutive (l’édition 2020 avait consacré un 16 ans d’âge).
Les whiskies
Côté whiskies, la gamme comprend actuellement (fiches techniques) :
- Caol Ila 9 ans (2013).
- Single Grain Irish Whiskey – Cooley de 13 ans (2009).
- Craigellachie 13 ans (2007).
- La Piautre 2017.
- Benrinnes 12 ans (2008).
Alors que la société familiale vendait exclusivement ses champagnes en France avant sa reprise, Dumangin J. Fils exporte aujourd’hui ses bouteilles dans 45 pays.
Les ratafias peuvent être achetés sur ce site marchand.
Les whiskies sont vendus chez certains cavistes partenaires.
Les notes de dégustation
Les échantillons ont été gracieusement fournis par le producteur. Le même verre tulipe a été utilisé pour les quatre dégustations.
Ratafia Champenois Craft (minimum 6 ans), affinage sous bois MV27, 18° – 28,50€ (70cl)
(Dégustation à température ambiante)
Couleur : ambre
Nez : s’ouvre sur des notes d’abricot (abricot sec, confiture d’abricot), de rose, de prune rouge, d’épices (vanille du Mexique, cannelle). Le second plan présente des notes de fruits secs (noisettes torréfiées) ainsi que des notes de bois ciré. Enfin, une certaine fraîcheur (verveine) vient équilibrer l’ensemble, accompagnée d’une touche de tabac blond.
Bouche : l’attaque est modérée, le milieu de bouche est assez juteux avec des notes d’abricot sec, de pêche au sirop, de raisin et une touche de jasmin. La finale est plutôt longue sur les fruits confits et le tabac blond. Une trame acidulée parcourt la bouche ce qui apporte un peu de tension.
(Dégustation à froid)
Nez : le registre épicé ressort davantage avec des températures basses. Quelques notes de nougat et de chocolat au lait fourré aux fruits secs se révèlent.
Bouche : à la fois plus tapissante et plus vive. Tend davantage vers l’orange confite, avec une finale un peu plus courte et davantage marquée par le fruit sec (raisin sec, noix et noisettes torréfiées).
Ratafia Champenois, Single Barrel, 16 ans (millésime 2004) 1ère édition, 18° – 145€ (70cl)
(Dégustation à température ambiante)
Couleur : ambre.
Nez : s’ouvre sur des notes de miel de châtaignier, de pain d’épice, de pain de mie toasté et de biscuits. Le second plan présente des notes de noix de coco et de quatre-épices. L’arrière-plan présente de discrètes notes de café torréfié et de chocolat noir fourré aux fruits secs.
Bouche : l’attaque est modérée. Le milieu de bouche est juteux et présente des notes de figue, de prune, d’abricot sec, de pêche au sirop, d’oranges confites. La finale est de longueur moyenne sur le fruit sec complétée avec une pointe de verveine. Comme pour le Craft, la bouche présente un côté légèrement acidulé qui apporte suffisamment de tension.
(Dégustation à froid)
Nez : notes de pain d’épice au miel, petite touche résineuse qui apporte un peu de fraîcheur (sève de pin), noix de coco grillée.
Bouche : bouche plus tapissante et plus acidulée qui fait ressortir les fruits confits et les notes d’agrumes. Une pointe de cardamome en finale.
Commentaires : Le point commun entre les deux ratafias est la fine acidité qui maintient des milieux de bouche dynamiques malgré la sucrosité. Le Craft présente un bel équilibre entre les différents registres (fruits confits, secs, tabac, touche florale). Un accord intéressant serait de l’associer avec un nougat glacé. De son côté, le vieillissement prolongé du 16 ans lui confère une belle gourmandise automnale.
Single Grain Irish Whiskey (distillé par la distillerie Cooley en 2009, embouteillé en 2021), affiné 12 months en fûts de ratafia champenois, 47,1° – 85€ (70cl)
Couleur : ambre.
Nez : s’ouvre sur un mélange de fruits (pommes, mirabelles) et d’épices (vanille, girofle, quatre-épices). Avec l’aération, le fruit devient plus exotique (mangue, papaye) et s’entoure de notes de poivre blanc et de camphre. Il faut un peu de temps pour que l’affinage en fût de ratafia champenois s’exprime à l’arrière-plan avec des notes de fruits confits, et de noix de macadamia.
Bouche : l’attaque est plutôt douce. Le milieu de bouche, huileux est plutôt épicé avec des notes de vanille, de camphre et de poivre vert. La finale est de longueur courte-moyenne sur les fruits secs (noix de macadamia, amande).
Single Malt Scotch Whisky, (distillé par Benrinnes en 2008 et embouteillé en 2021), affiné 23 mois en fûts de ratafia champenois, 48° – 104€ (70cl)
Couleur : ambre.
Nez : s’ouvre sur des notes de fruits du verger (pommes golden, poires) accompagnées de notes boulangères (brioche) et de noix de coco. Avec l’aération, des notes de miel de châtaigner, de champignons et de sauces (bouillon, fond brun, yakitori) probablement dûes au condenseur à serpentin utilisé par Benrinnes se développent. Des notes de noix de pécan qui prennent de plus en plus d’ampleur et une touche herbacée (cerfeuil) complètent l’ensemble à l’arrière-plan.
Bouche : l’attaque est modérée. Le milieu de bouche est chaleureux et marqué par des notes forestières, oxydatives intense ainsi que par une grande fraîcheur (genièvre, sauge) qui étire une finale plutôt longue.
Commentaires : Concernant les whiskies, on sent un véritable amour pour le produit chez Gilles Dumangin car à aucun moment les affinages en fûts de ratafia ne viennent masquer l’identité des distillats. Tout aux plus viennent-ils souligner le fruité du Cooley et enforcer le caractère très racé et automnal du Benrinnes. Ce dernier ferait d’ailleurs un excellent partenaire pour un gibier en sauce.
Conclusion
En conclusion, la belle maîtrise de l’élevage ainsi que les rapports qualité-prix plutôt bien positionnés font du ratafia de Champagne et des whiskies affinés par la maison Dumangin J. Fils des curiosités qui valent bien un détour au pays des bulles.
Ce qu’il faut retenir
La Maison Dumangin J. Fils…
- …cultive environ 7 hectares de chardonnay, meunier et pinot noir sur la montagne de Reims.
- …possède le plus large stock de vieux ratafias champenois.
- …utilise d’anciens fûts de Côtes-du-Rhône septentrionaux pour vieillir ses ratafias et d’anciens fûts de ratafias pour affiner du whisky.
- …a remporté deux fois le titre de ‘World’s Finest Ratafia Champenois’ décerné par le site Glass of Bubbly.